Meta Antenen – Première icône de l’athlétisme suisse

Nous sommes au début des années ’60 et l’athlétisme féminin en Suisse a toujours de la peine à se développer. Mais tout va changer dès 1964 avec l’apparition au niveau national d’une Schaffhousoise de 15 ans nommée Meta Antenen. Sous la houlette de son entraîneur Jack Müller, elle va rapidement progresser pour atteindre le top niveau mondial, d’abord au pentathlon, puis au saut en longueur. En effet c’est en 1969 qu’elle brille de mille feux, notamment en battant le record du monde du pentathlon et en arrachant, à la désespérée, la médaille d’argent de cette même discipline lors des championnats d’Europe à Athènes. À partir de ce moment-là, elle sera la coqueluche du grand public helvétique et elle deviendra même, en 1971, au terme d’un concours de saut en longueur des championnats d’Europe à Helsinki complètement fou, l’une des « Grandes Dames » de l’athlétisme mondial.

Le samedi 14 août, c’est le grand jour de la finale du saut en longueur. Les douze finalistes, sans aucune exagération, sont aussi les meilleures sauteuses du monde. Le concours promet d’être passionnant, ce d’autant plus que le stade olympique est plein à craquer. C’est à Meta Antenen que revient l’honneur de lancer la compétition, le tirage au sort en ayant décidé ainsi. Son expérience pour le pentathlon donne un léger avantage à Meta pour gérer autant que possible les deux premiers sauts. Ce fut le cas à Bâle lors des championnats suisses, et ça doit aussi l’être absolument ici à Helsinki. Il est 18 heures, les feux sont lancés. Meta se place vers sa marque, se met dans sa position typique et se concentre. Elle s’élance enfin, la puissance et la dynamique sont clairement visibles dans chacune des foulées de son élan. La planche est assez bonne et l’appel claque en la faisant partir très haut dans les airs. La suspension est magnifique, mais il faut aussi qu’elle pense à ramener ses deux jambes pour atterrir loin en avant.

Malheureusement, cette dernière phase n’est pas totalement terminée lorsqu’elle atterrit dans le sable. C’était pourtant un saut de très grande classe. Tout le monde fixe maintenant le panneau lumineux, qui finit par éclairer trois chiffres incroyables : 6 7 3 ! Meta attrape sa tête avec ses mains et rayonne de bonheur; elle vient de pulvériser le record suisse de neuf centimètres et, surtout, d’asséner un grand coup à toutes ses adversaires. 6,73 m, c’est prodigieux; mais que valent-ils vraiment dans cette finale mettant aux prises onze autres folles furieuses ?

Une finale du saut en longueur absolument épique
Dans cette première série d’essais, Ingrid Mickler ne tape pas la poutre correctement et commence avec 6,42 m. Heide Rosendahl, détentrice du record du monde et victorieuse du pentathlon peu de temps auparavant, ouvre sa série avec 6,46 m. Sheila Sherwood est mesurée à 6,38 m et Margrit Herbst doit se contenter de 6,29 m. Il y avait déjà quelque chose de bon dans ces 6,73 m réussis d’entrée : ils peuvent paralyser quelques-unes de ses adversaires. Voici maintenant le deuxième tour, qui permet à Meta de conforter un peu plus sa position de leader avec un nouveau très bon saut mesuré à 6,62 m. Derrière, c’est le drapeau rouge pour Mickler, Rosendahl se montre menaçante avec 6,64 m, Szewinska passe de 6,16 m à 6,54 m et Sherwood saute à 6,52 m. Quoi de neuf avec Viorica Viscopoleanu ? La Roumaine est méconnaissable avec 6,22 m. Cette finale est absolument passionnante, mais dieu qu’elle passe lentement. On en est maintenant à la troisième ronde, qui voit Meta sauter à 6,45 m.

Après un début poussif, Mickler se reprend bien et se rapproche avec 6,64 m. Rosendahl reste constante avec 6,63 mètres. En revanche avec un petit 6,26 m, Herbst sombre au neuvième rang et ne peut plus continuer dans cette finale. Ça fait toujours une concurrente dangereuse en moins. Pour le quatrième tour, il ne reste plus que les huit meilleures. Meta commence à espérer et pour se motiver, elle cherche du regard le drapeau suisse sur un des mâts du stade : «Comme ce serait bien s’il était élevé le plus haut ! ». Le quatrième essai d’Antenen est toujours très bon, il est mesuré à 6,55 m. Mickler retourne dans ses travers en passant tout droit, alors que Rosendahl fait crier le public. Est-ce arrivé ? Non, 6,66 m ! Sherwood poursuit sa progression avec maintenant 6,62 m. Par contre aucun danger cette fois-ci du côté de Szewinska. Avant les deux derniers sauts, il s’avère nettement que le podium se jouera entre ces cinq athlètes. Avec l’avant-dernière ronde, la tension augmente de manière presque insupportable. Il y a de tout avec Meta Antenen qui atterrit à 6,66 m avec un appel avant la planche ! Dommage, c’était un saut absolument fantastique, au niveau du record du monde !

Le grand geste de fair-play
Ingrid Mickler ne prend pas part à cette série d’essais car elle doit courir la finale du 4 x 100 m avec son équipe. Spontanément, Meta va chercher le survêtement de son adversaire devant sa position de départ, ceci pour gagner du temps pour elle. Elle a aussi également accepté qu’Ingrid puisse effectuer son cinquième saut par la suite. L’Allemande n’est pas parvenue à revenir à temps et, selon le règlement, elle ne peut pas récupérer son essai. Les autres concurrentes restent menaçantes : pour Heide Rosendahl, c’est encore une fois magnifique avec 6,63 m et pour Sheila Sherwood, son saut est mesuré à 6,57 m. Le moment de vérité arrive avec le tout dernier essai de cette finale européenne. Meta Antenen réussit encore un saut magnifique à 6,62 m, puis Irena Szewinska s’améliore avec pour elle aussi 6,62 m.

Maintenant c’est au tour d’Ingrid Mickler. L’Allemande, qui a conquis le titre européen du 4 x 100 m un quart d’heure plus tôt, sent que le vent arrière est en train de se lever. Plusieurs fois, elle jette de l’herbe en l’air et mesure ainsi la force du vent. Avec beaucoup d’expérience, elle décide de reculer ses marques d’un pied. Elle se concentre, court, mise sa toute dernière carte. Elle frôle tellement la plasticine lors de son appel que les juges-arbitres examinent longtemps l’impact, à la recherche d’une trace, avant de lever le drapeau blanc en signe de validité. Le saut paraît très loin; est-ce la décision ? Elle tombe rapidement sur le panneau lumineux et le verdict est douloureux pour Meta Antenen et probablement pour de nombreux suisses amateurs de sport : 6,76 m ! Ingrid Mickler exulte alors que Meta constate que la mesure du vent indique +1,8 m/s pour ce saut triomphal, de loin le vent favorable le plus fort de toutes les concurrentes. Il aura fallu attendre le cinquante-huitième des soixante sauts de cette finale pour connaître le vainqueur.

Oui, Mickler est absolument une digne championne d’Europe du saut en longueur. Et Meta, qu’en est-il à ce moment-là ? La Suissesse vient de perdre au tout dernier instant une médaille d’or, qui était quasiment autour de son cou. Fait incroyable, elle surmonte la déception probablement mieux que quiconque. Elle se précipite vers la nouvelle championne d’Europe, la félicite chaleureusement et toutes deux exécutent une danse joyeuse sur le terrain de sport. Un journal ouestallemand écrit alors : « En un tour de main, Meta Antenen, heureuse et chaleureuse, a été gagnante ». Tous deux s’embrassent avec cordialité, mais en fait Meta n’est pas encore sûre de sa médaille d’argent puisque Heide Rosendahl a encore une ultime chance. Malgré un vent favorable de 1,1 m/s, elle doit se contenter de 6,60 m.

Une médaille d’argent qui vaut de l’or
Il s’agit là tout simplement du meilleur concours de saut en longueur de l’histoire de l’athlétisme ! Dans les allées du stade Olympique d’Helsinki, Meta Antenen fait part de ses sentiments suite à cette incroyable et passionnante finale : «Le sport peut être juste, sensationnel, inspirant et enivrant, mais aussi dur, brutal, impitoyable et tragique. Le sport peut aussi être humain et Meta Antenen, fair-play envers les Allemandes de l’Ouest tif. Je pratique le sport et j’en accepte les règles». L’un des journalistes allemands est totalement stupéfait d’entendre ce discours : «Vous, les Suisses, avez gagné cette médaille d’or», a-t-il déclaré en inclinant la tête avec sympathie. Le journal « Sport » résume bien la valeur de la prestation de Meta Antenen : « Avec 6,73 m au premier essai, Meta Antenen a accompli un véritable exploit et surtout accompli une moyenne jamais atteinte dans l’histoire de l’athlétisme sur six sauts : 6,60 m ! Elle réalise ainsi une prestation digne des succès légendaires de Josef Imbach, Paul Martin et Willy Schärer lors des Jeux Olympiques de 1924 à Paris et les performances de classe mondiale de Walter Tschudi au décathlon, de Peter Laeng sur 400 m et de Philippe Clerc au sprint en 1969 ».

La réaction de Meta Antenen
De toutes parts les compliments affluent pour Meta Antenen. Il faut bien le dire, c’est largement mérité pour cette athlète qui a dominé le concours du saut en longueur de 18:00 à 19:40, soit 100 minutes de rêve absolu. La cérémonie protocolaire qui s’en suit laisse la Schaffhousoise sur des impressions mitigées : « Au moment où je me suis tenue sur le podium, pas au sommet comme je l’espérais jusqu’à la dernière seconde de la compétition, lorsque le drapeau allemand de l’Ouest a été levé à la place du drapeau suisse et que l’hymne national allemand, le fameux « Deutschlandlied » a retenti des haut-parleurs, ce moment était pour moi à la fois le plus beau et le plus douloureux de ces championnats d’Europe. C’est pourquoi il est si difficile de dire ce qui m’est passé par la tête. Jusqu’à ce saut victorieux d’Ingrid, j’avais toutes les raisons de croire en l’impossible. En même temps, je n’ai pas bien commencé. Mes genoux avaient tremblé à la première tentative. J’étais en colère contre moi-même. Mais le trac était plus fort que moi. La tension pendant les derniers jours de préparation s’était soudain concentrée dans le stade, au point de paralyser mes membres. Mais je me suis mordu les lèvres, pincé les cuisses. C’est le moment d’y aller ! Lors de ma première tentative, je n’avais même pas eu une bonne sensation car j’avais sauté très haut, mais pas avancé suffisamment les jambes. Mon dernier saut dans cette série était un fardeau nerveux particulier. J’ai bien sauté, mais je ne me suis pas améliorée. À ce moment-là, la vraie guerre des nerfs a commencé. Je me suis assise sur le banc, je me suis relevée à nouveau, j’ai fait les cent pas, les doigts croisés. S’il y avait eu une église à proximité, j’aurais couru droit dedans. »

« Quand Ingrid a commencé – je l’admets – je ne lui ai pas souhaité le meilleur. Elle avait le vent arrière, c’était pas bon pour moi. Cela pourrait la replacer. Il faut imaginer que jamais de ma vie je n’étais aussi proche du but sur lequel je m’étais entraîné pendant des années sous de grandes austérités. Ça aurait pu être le cas à l’issue de cette dernière ronde d’essais, mais je n’osais toujours pas y croire. S’il y a un dieu de l’athlétisme, me suis-je dit, alors je lui demande de m’aider maintenant, de laisser Ingrid se rater. Comme je l’ai dit, ce n’était pas le moins du monde contre ma collègue. Elle méritait le titre aussi bien que moi. Mais n’est-il pas compréhensible de penser à soi dans de tels moments, d’espérer en soi ? Elle a commencé, a sauté très près de la plasticine et a sauté trois pouces plus loin que moi. Le rêve avait disparu, j’étais deuxième. C’était comme construire un château de cartes qui, à tout moment, peut s’effondrer en silence. Mais la maison grandit et vous avez maintenant la dernière carte en main. Vous la placez, mais une brise réduit le tout à néant, ou presque. Je suis fière de pouvoir dire que j’ai été un bon perdant quand j’ai félicité Ingrid Mickler. J’ai montré un visage riant, j’étais heureuse de ma médaille d’argent. Mais ensuite, sur le podium, la musique de l’hymne national et le fait que tout le monde se soit levé dans le stade pour cette occasion ont contribué à ce que je doive combattre ardemment mes larmes. Pas par déception, pas par jalousie, mais tout simplement parce que la tension s’était dissoute dans les sons et que quelque chose a bougé en moi comme un glissement de terrain. La différence entre l’or et l’argent n’est jamais égale à la petite différence de trois centimètres. Mais rien ne pouvait être changé. Il fallait être le premier et l’autre deuxième ».

Après ces émotions dans le stade Olympique d’Helsinki, il est temps de rentrer au bercail. En arrivant à Schaffhouse, pas moins de 500 personnes attendent Meta Antenen. La jeune médaillée d’argent a défilé dans les rues de la ville, en présence des autorités et au son de la musique de la ville.

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(PAB)